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Dynamique des territoires

L'égalité des territoires : une passion française

Publié le 19.07.2016
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PUBLICATION EXTÉRIEURE

L'égalité des territoires : une passion française

Philippe Estèbe, analyse l'organisation territoriale française par le prisme de l'égalité. Il rattache cet attachement à la notion d'égalité des territoires à une caractéristique de la France : la faible densité de sa population (comparée par exemple aux Pays-Bas ou l'Allemagne) couplée à une occupation de l'ensemble du territoire (à la différence, par exemple, de l'Espagne ou des pays Scandinaves). Cette particularité induit qu'il coûte plus cher d'administrer la France puisqu'il a fallu l'équiper et la mailler de services publics partout.

La particularité Française, observe-t-il, est à mettre en lien avec la faiblesse historique des villes. En dehors de la capitale, seule Lyon se hisse au rang des villes européennes (Milan, Florence, Turin, Francfort, Munich, Stuttgart, Hambourg, Francfort, Birmingham, Liverpool, Anvers, Rotterdam, Barcelone…). Cela tient en particulier à ce qu'en France l'espace rural a conservé une fonction productive. La révolution industrielle s'est elle-même davantage déployée au travers d'un réseau des villes moyennes que sous la forme d'une concentration dans quelques grandes villes industrielles telles qu'elles se retrouvent, par exemple, au Royaume-Uni. Ce réseau des villes moyennes est également le produit de l'organisation de l'Etat qui a organisé ses services déconcentrés autour des préfectures et sous-préfectures. La notion d'Etat déconcentré est incompréhensible dans la plupart des autres pays européens ou l'action publique locale relève des seules collectivités. Par ailleurs les territoires ruraux ont vu leur vitalité politique confortée par la représentation nationale au niveau du Sénat.

Cette organisation de l'Etat, garant d'une égalité territoriale en termes d'équipement du territoire et de présence des services publics, avait une justification politique forte dans une époque où la mobilité n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui. Mais l'égalité d'accès aux services publics se traduit de fait par une autre forme d'inégalité : il y a aujourd'hui, dans le premier degré, 93 enseignants pour 1 000 élèves en Lozère, contre 51 à 52 enseignants pour 1 000 élèves dans les départements d'Ile de France. L'image est similaire dans le domaine de la santé et, de fait, l'Etat opère une redistribution financière importante entre les territoires qui se traduit également dans le fonctionnement des collectivités. Les grandes entreprises publiques (SNCF, La Poste, EDF…) concourent également à cette redistribution par leurs missions de service public.

Au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, la société a néanmoins connu un bouleversement important lié à l'accès généralisé à la mobilité. Les personnes comme les facteurs de production sont devenus mobiles, et les frontières se sont ouvertes. Les territoires se retrouvent de fait dans une logique de relative compétition. Les entreprises cherchent à se rapprocher des bassins de consommation et des nœuds de communication. Les habitants cherchent, selon les étapes de leur vie, la meilleure place pour étudier, pour travailler, pour se reposer. Il en résulte une certaine tendance à la spécialisation des territoires, et à la concentration de l'emploi dans les métropoles, qui optimisent les capacités de mises en relations des agents économiques. Les métropoles aspirent des forces vives et des entreprises dans leur territoire et redistribuent des résidents, des touristes, des retraités, des consommateurs…

La question de l'égalité des territoires ne se pose donc plus dans les mêmes termes et trois secousses ébranlent l'édifice de l'égalité des droits :
- l'Etat se retire des territoires (ex. effritement des réseaux et services techniques de l'Etat dans les départements),
- la reconnaissance du fait métropolitain inscrit dans le droit une différenciation des régimes territoriaux, les métropoles pouvant exercer des missions dévolues aux départements,
- l'Etat diminue ses dotations aux collectivités, impactant nécessairement les territoires au potentiel fiscal plus limité.
S'y ajoute la remise en cause progressive de la péréquation assurée par les grands réseaux (Télécom, Poste, énergie,…).

Pour Philippe Estèbe, des pistes d'action existent pour répondre à ces évolutions : l'intégration intercommunale, qui limite les effets de la fragmentation, la montée en puissance de la redistribution financière horizontale (ex. FPIC), la mise en débat entre territoires de la répartition des investissements et des services publics au travers la planification. Il ajoute que pour les villes moyennes, la distance et la relation qu'elles nouent avec la métropole ou la capitale régionale deviennent des facteurs déterminants puisque leur avenir n'est plus assuré par la « seule » présence des services publics ; cet avenir passe par leur capacité à s'inscrire en complémentarité, dans un réseau territorial.

Il considère donc qu'il est nécessaire de passer de politiques territoriales qui ne soient plus entièrement tournées vers l'administration des stocks (de population, d'équipements, d'activités) mais qui prennent en compte l'animation des flux (de mobilité, d'information, de biens et de services). Ce gouvernement des réseaux et des flux ne peut se résoudre par une extension des périmètres administratifs. Il faut faire le deuil du périmètre pertinent et construire des accords stratégiques entre des territoires consistants. Pour faire simple, les politiques locales doivent être interterritoriales ou elles ne seront pas.

En conclusion, pour Philippe Estèbe, les territoires doivent opérer deux mutations :
- être des opérateurs de mobilité pour les individus qui les habitent ou les fréquentent de façon que ceux-ci puissent se construire des itinéraires de vie positifs,
- et pour se faire s'inscrire dans des systèmes territoriaux où ils doivent prendre leur place et comprendre le rôle qu'ils peuvent jouer.
L'égalité formelle des territoires doit faire place à une égalité de situations et de relations où ce sont les individus et les groupes sociaux qui doivent être les destinataires finaux et explicites du programme égalitaire.

Type de document
Livre
Auteur(s)
Date de publication
2015
Collection
Nombre de pages
88 P.
diffusion
grand public